Au beau soleil du monde

Que tout ce que je sais, en vertu d’une grâce,
ou par volonté, cesse d’être savoir.
Qu’en ferait-il, l’enfant qui se voit vieilli,
voler dans les cieux du Sahara ou de l’Arabie?
Je veux savoir. L’histoire est prophétie,
je parle comme un fou.
Tu n’iras pas te reposer —
te protéger de la maudite clarté du jour —
oiselet frioulan, en ces bosquets que je connais,
parmi les arbres purs — le mûrier, la vigne, le peuplier,
le sureau, avec sa fragilité printanière…
Et pas davantage dans les forêts autour de la ville de Lagos,
dans les savanes roses du Soudan,
ni sur les crêtes violettes des volcans d’Aden —
tu t’en iras en un vers, anéanti
par la prophétie. Et moi, en mon dernier recoin,
au beau soleil de la Méditerranée ou de l’océan Indien,
inadapté à l’Histoire, inadapté à moi,
je m’adapterai à la terre future,
lorsque la Société redeviendra Nature.

Pier Paolo Pasolini, Poésie en forme de rose, in Une vitalité désespérée, anthologie personnelle traduite par José Guidi, Gallimard, Poésie, 1973.

La scuola di Gramsci

Note 36e. Les Argonautes. Livre III (suite)

Méditation d’Orphée — La vraie naissance est la seconde naissance — L’initiation; la naissance culturelle, <?> Orphée — Le vrai voyage est le second voyage – Le premier est le sommeil (dans la caverne, sous l’arbre : tout est à l’intérieur du ventre maternel) — Le second voyage est le véritable, parce qu’il est réaliste — Il ne pourrait pas l’être s’il n’avait pas les fondements de rêve du premier — Nous allons sur les traces d’Héraclès qui a rêvé notre voyage — Nous faisons ce qu’a fait Alexandre, et que beaucoup d’autres ont fait — Le moment viendra où l’espace du rêve du voyage sera saturé — Il y aura seulement le (…) espace du voyage — Nous sommes peut-être les derniers, et en effet notre rêve est très proche de la réalité : [de la banale cartographie] de tout lieu — [Nous sommes « en retard », nous sommes des Alexandrins pourris, nous sommes des hommes cultivés], qui sait comment ils ont encore une certaine possibilité d’initiation — Mort d’Orphée (malaria) — Sépulture d’Orphée — À l’heure du crépuscule dans la banlieue vers la mer, deux jeunes à peine revenus du travail, étendent devant leur masure sur le sable un petit tapis fané — Ils laissent leurs chaussures sur le sable — Ils s’asseyent en tailleur sur le petit tapis et commencent à jouer de leurs deux instruments sans (un tambour et une espèce de mandoline très rustique, au ventre gonflé et rond comme les bateaux persans) — Ce sont deux ouvriers, immigrés, au teint très sombre; deux Soudanais.

(texte grec)

Pier Paolo Pasolini, Pétrole, traduction de René de Ceccatty, Gallimard, 1995.