
Maintenant je sens en moi un goût de pluie qui vient de tomber,
toute vivacité de la vie a un fond de larmes :
seule une force confuse me dit qu’un nouveau temps
commence pour tous et nous oblige à être nouveaux.
Peut-être — pour qui a senti et s’est donné — c’est l’engagement
non plus à sentir et à se donner, mais à penser et à se chercher
si le monde commence à cesser d’être le monde
dans lequel, lui appartenant déjà, nous sommes nés, objet d’histoire
d’abord cru éternel, puis fertile : toujours reconnu.
Mais même le temps de la vie est de penser, et non de vivre,
et puis la pensée est maintenant privée de méthode et de mots,
lumière et confusion, préfiguration et fin,
la pure vie elle-même est en train de se dissoudre dans le monde.
Donquichottesques et durs, nous agressons la nouvelle langue
que nous ne connaissons pas encore, que nous devons tenter.
Pier Paolo Pasolini, La religion de notre temps, traduction de René de Ceccatty, Payot, 2015.
Photographie prise depuis la chambre où Enrico Berlinguer séjourna durant l’été 1964, à Teti, Province de Nuoro, en Sardaigne. C’est ici qu’il apprit la mort de Palmiro Togliatti, le 21 août 1964. Dans Uccellacci e uccellini, Pasolini filme les obsèques du dirigeant du Parti communiste italien : le symbole de la fin d’un monde. Berlinguer, qui lui succédera quelques années plus tard, incarnera la soumission du projet communiste à la marche de l’Histoire, à la conception libérale du Progrès et du développement néocapitaliste, tout en marquant sa rupture avec une URSS déjà déclinante. Mais Pasolini ne choisit pas le monde d’avant-hier contre le monde d’hier : il « abjure » tout autant le marxisme des années 50, son rationalisme décrépi et ses belles espérances trahies, que la soumission de l’Idéal communiste à la société de consommation et à la démocratie libérale. Ainsi : « le Pouvoir va / vers l’avenir, et l’Opposition, dans une action / de triomphe, le suit, pouvoir dans le pouvoir. » (Poésie en forme de rose, traduction de René de Ceccatty, Payot, 2015.)